mercredi 15 juin 2016

[Région] Jean-Luc Mélenchon interwievé par les Inrocks

Jean-Luc Mélenchon. Paris, le 21 mai 2016 © Gaël Turpo pour Les Inrockuptibles (détail)

Jean-Luc Mélenchon : “Cette fois,

c’est la bonne”




Fort de ses 12% d’intentions de vote, Jean-Luc Mélenchon estime avoir toutes ses chances pour 2017. Dénonçant “la caste oligarchique et son personnel politique”, il voit dans les mobilisations contre la loi El Khomri et dans Nuit debout la reconstitution d’“un courant politique populaire”.

Cette fois, Jean-Luc Mélenchon promet que c’est la bonne. Alors que la gauche gouvernementale est en lambeaux, qu’Europe Ecologie-Les Verts (EE-LV) et l’extrême gauche se cherchent encore, lui veut croire à sa bonne étoile. Le 5 juin, il tiendra un grand meeting à ciel ouvert place Stalingrad, à Paris, comme lors de sa précédente campagne. Peut-il tirer profit du climat de révolte sociale qui secoue la France depuis le mois de février ?
Après avoir réuni près de 4 millions de voix (11 % des suffrages) en 2012, Mélenchon entend bien franchir ce cap en 2017. Alors que les sondages lui accordent 12 % des intentions de vote, il l’assure auprès de ses proches : François Hollande ne parviendra pas au second tour. A partir de là, tout est possible et le tribun se met à rêver (à haute voix) d’être le héraut d’une France insoumise face à l’austérité budgétaire qui frappe le continent. Le verbe mesuré, les mots finement choisis, il soigne sa posture. Le bruit et la fureur sommeilleraient-ils encore derrière son regard espiègle ?

Les circonstances objectives d’un soulèvement sont-elles réunies en France selon vous ?
Jean-Luc Mélenchon – Je ne crois pas au “grand soir” qui surgirait de l’actuel réchauffement du climat social. Je pense que le moment politique est marqué par le croisement de plusieurs faits qui peuvent produire un résultat explosif. Tout d’abord, la profondeur de la destruction du lien social sous les coups du néolibéralisme. Exemple : tous les jours dans ce pays on ferme un pont, tous les deux jours un paysan se pend. D’autre part, le lien civique du pays est profondément délité. Les gens ne font plus confiance à aucune institution, ni à aucune autorité, ils détestent les journalistes, haïssent les politiques, suspectent les policiers, toisent les juges… Enfin, le consentement à l’autorité de l’Etat se rompt, parce que l’ordre   – et notamment sa face la plus visible, le maintien de l’ordre public – est utilisé à des fins étroitement partisanes et idéologiques. Faire condamner des ouvriers de Goodyear à de la prison ferme est un signal dont la violence n’a pas été bien mesurée par ceux qui l’ont envoyé, quand dans le même temps monsieur Cahuzac n’est toujours pas jugé. Que la police soit utilisée dans le cadre de la répression des mouvements contre la loi El Khomri avec les méthodes qui sont mises en œuvre est une manière de détruire un lien qui s’était créé entre policiers et population après les tueries du 7 janvier et du 13 novembre 2015. Une empathie a été rompue volontairement par le pouvoir, qui espère un “effet juin 1968” : créer un désordre qui lui permettrait d’apparaître en sauveur.

Etes-vous surpris par la violence politique qui se manifeste dans le pays ?
C’est de la physique élémentaire. Comme la scène politique officielle est bâtie autour du consensus eurolibéral, l’expression des refus a été bâillonnée. La conflictualité s’exprime donc de différentes manières ailleurs : dans la violence de rue, dans les mobilisations sociales, le syndicalisme, et aussi dans l’émergence du mouvement La France insoumise. Cette poussée de vapeur est le résultat du verrouillage de l’espace public par la caste oligarchique et son personnel politique, de Juppé à Macron.

Pensez-vous qu’il soit nécessaire de réformer la politique de maintien de l’ordre ?
 
Oui. La violence générée par la doctrine d’emploi actuelle doit être avant tout imputée à ceux qui prennent les décisions et donnent des ordres. Sur le terrain, les policiers obéissent. Imagine-t-on qu’ils n’en fassent qu’à leur tête ? Quand une nasse se ferme, aucune des unités de police ne sait ce que font les autres ! Il y a donc une responsabilité du ministre de l’Intérieur. Je suis contre le recours au nassage et je suis totalement opposé aux tirs tendus et aux grenades de désencerclement qui sont des objets très dangereux. Il y a déjà tant de blessés et deux éborgnés ! Mais je vois aussi l’autre violence ! Je dis “Pas en notre nom !”. Je tiens à les désavouer. On se déshonore en cherchant à mutiler un policier. Cela permet à nos adversaires tous les amalgames et cela crée le risque d’une escalade vers la guérilla urbaine, que je désapprouve absolument. Je le dis aux jeunes qui sont tentés : n’ayez pas la moindre illusion sur ce qu’une ligne pareille produit. Etudiez les expériences passées, notamment en Amérique latine. Cela ne nous a jamais donné aucune victoire ! Mais ceux qui sont morts manquent toujours !

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